Chapitre 3
Dans les ténèbres de son inconscience, il pouvait encore entendre et ressentir tandis que la mort l'attendait au seuil. L'odeur âcre du sang et de la chair agonisante l'entourait, s'enfonçant toujours plus dans ses entrailles. Les cris et les tirs lui parvenaient vaguement, telle une mélodie entêtante le retenant à la lisière des ombres.
-Amos !
Il voulait s'abandonner à ces abysses, partir, ne plus ressentir. Il sentait à peine les mains puissantes qui l'empoignaient pour l'emporter.
-Tiens bon, merde, tiens bon !
Pourquoi tenir ? Il serait plus simple de se laisser aller.
-Tu n'as pas intérêt à me lâcher.
Comment le pourrait-il ? Il perdit alors toute notion du temps et de l'espace. Il ne devait garder aucun souvenir de ces moments. Ce fut bien plus tard qu'il reprit le contrôle de ses sens. Il finit par reprendre conscience dans ce qu'il semblait être une infirmerie improvisée dans une des pièces désertes du vaisseau. Les médecins et les infirmiers voguaient autour des lits et des brancards, dans un ballet sordide rythmé par les râles des agonisants et les plaintes des blessés.
-Ça va ?
À cette question, il tourna la tête pour s'apercevoir qu'une jeune femme était à son chevet. Encore assommé par les médicaments, il n'avait même pas senti que quelqu'un lui tenait la main. Il lui semblait voir et entendre à travers un brouillard permanent.
-Johana...
Le sourire inquiet de cette dernière se détendit à ces paroles.
-Au moins, tu n'as pas perdu la mémoire.
-Je... Non, enfin... Que s'est il passé ?
-C'était un piège, les Sierens savaient que vous alliez tenter de les prendre à revers. Tu as été touché, mais Gat a réussi à te mettre en sécurité avant de te porter jusqu'ici.
Même à la lumière de ces explications, tout lui paraissait encore flou.
-Je croyais qu'on était encerclé...
Elle lui tapota la main doucement.
-Gat t'expliquera mieux que moi.
-Ouai et tu me dois un flingue en attendant, intervint alors le dénommé Gat en arrivant dans le dos de Johana.
-Gat !
Elle se leva et enlaça son fiancé. Satisfait, il la prit par la hanche tout en jetant un œil à l'état d'Amos.
-Ils ne t'ont pas loupé, fit il avec un geste de main appréciateur en sa direction.
Amos se regarda lui-même et, ne constatant rien, il finit par palper sa tête. Ses doigts frémirent quand ils rencontrèrent la rugosité de ses bandages.
-T'inquiète pas. Les médics m'ont dit que tu étais tiré d'affaire et que tu ne devrais pas garder de séquelles... en principe.
Gat s'assit ensuite là où était Johana peu avant.
-Ma puce, tu peux aller chercher quelque chose à boire ou à manger ? Vu comment il a pioncé, il doit avoir la dalle et même s'il ne l'a pas, il doit se remplumer un peu.
-Pas de souci, répondit-elle avec un sourire chaleureux avant de s'éloigner.
Amos attendit patiemment qu'elle soit hors de vue, puis il tenta de se redresser. Il se sentait toujours aussi somnolent mais il arrivait maintenant à mieux appréhender ses environs.
-Hé, hé, doucement là. Tu viens à peine de te réveiller.
-... Qu'est ce que je ne ferai pas sans toi, hein ? Finit-il par ajouter avec un sourire désabusé.
-Je crois que t'as pas envie de le savoir, répliqua Gat en souriant également.
-Johana m'a dit qu'on avait été pris au piège mais... Je ne me souviens pas vraiment...
-Cassandre a coincé le mouchard qui les renseignait peu après qu'on soit parti. Quand elle a appris ce qui allait arriver, elle a foncé avec une escouade et elle est arrivée pile au moment où tu t'es pris le tir. Elle a dégagé notre arrière et j'en ai profité pour te tirer de là.
Amos resta silencieux.
-Hé, te bile pas.
-... Et le reste de l'équipe ?
-Uriah a eu moins de chance que toi et Schell doit être pas loin, il a été touché au bras. Le reste va bien, énonça Gat en se grattant la nuque. On a eu plus de bol que l'escouade de Cassandre.
-Ah...
Il joignit ses mains avant de poser brièvement son front dessus. La colère fut la première émotion qui lui revint.
-Comment est-ce qu'Uriah est mort ?
-Un Sieren était proche, il a tenté de le frapper avec la crosse de son arme mais l'autre a été plus rapide que lui... Un coup de poignard et c'était fini.
-Merde...
-Tu l'as dit.
-Ces salopards...
Gat se laissa aller davantage sur sa chaise en croisant les bras.
-Qu'est ce que tu veux, ces gars là ont plus toute leur tête depuis longtemps. Je me demande quelles conneries ils vont nous sortir la prochaine fois.
-Je sais... Qui aurait dit qu'on en arriverait à là ?
-Tu veux dire à ce massacre en règle ? Ca fait cinq ans qu'on erre dans l'espace mon vieux, ça m'étonne que tu sois surpris. Quand on a pas d'espoir à l'horizon, on finit par croire à n'importe quoi...
-Et on ajoute à ça Sieren qui ne pense qu'à prendre l'ascendant sur la flotte... J'espère au moins que tu ne crois pas à ce qu'ils disent ?
-Hein, quoi ?
-Tu disais qu'on est prêt à croire à n'importe quoi quand il n'y a pas d'espoir...
L'homme le regarda avec des yeux ronds avant d'éclater de rire.
-Quoi, à leur espèce de "dieu" spatial ? Merde, j'espère bien que non.
Amos le rejoignit dans son fou rire. Au bout d'un moment, ils finirent par se reprendre.
-Alors, à quoi crois-tu ? Reprit-il enfin.
-Moi ? C'est une bonne question. J'en sais rien en fait. Tout ce que je veux, c'est que Johana soit en sécurité et que je sois là à côté d'elle, ça me suffit. Je me fous de l'endroit où on peut être tant qu'on peut survivre.
Surpris par la réponse, il le regarda un instant avant de se sourire à lui-même.
-Oui...
….
Ça paraît logique.