Chapitre 2
Cela faisait une heure que l'amiral regardait à travers la baie vitrée de la salle de commandement. Dehors, il n'y avait pas d'étoiles, ni la vision habituelle de l'étendue spatiale. Non, sous ses yeux, toujours le même spectacle, celui d'un brouillard étouffant et jaunâtre, aux formes sans cesse changeantes, et dont la luminosité rallongeait les ombres de la salle tout en la baignant de lueurs ocres.
Autour de lui, le silence. Après l'effusion et la consternation qu'avait provoqué l'arrivée, après l'inquiétant retour radio – un magma de voix fantomatiques et incompréhensibles- d'une partie de la flotte avant la perte de leurs signaux définitifs, il fallut bientôt se rendre à l'évidence : ils étaient perdus. Perdus dans une section inconnue de l'univers, à l'intérieur d'une nébuleuse qui les rendaient aveugles et muets.
Pour le commandement, l'heure n'était plus à la panique tandis que tremblaient ceux dont ils avaient la charge. L'heure était aux décisions. C'est dans ce silence pesant, devant cette scène ésotérique, que Saül Benett tentait de trouver une solution. A ce moment-là, il regrettait son grade et il regrettait de s'être lancé dans cette entreprise risquée.
-Amiral?
-Hm?
Il se retourna vers une femme blonde d'environ une trentaine d'année, assise dans un siège long et confortable, devant l'un des multiples écrans de la pièce.
-Qu'y a t'il Alma?
-Nous recevons une transmission du Sierine.
-Passez les moi, répondit sobrement Saül en allant s'asseoir à son siège.
Après un court instant de manœuvres, une projection d'écran apparut devant lui. Le visage d'un homme y était visible. Ses traits n'avaient rien de particulier, il était chauve, caucasien et devait avoir vers la trentaine. Sa seule particularité était son regard, un regard clair et perçant qui lui valait souvent d'être écouté.
-Ici le capitaine Kal Sieren.
-Je vous reçois, que voulez vous?
-Je voulais vous informer qu'après délibération entre les vaisseaux restants, le Sierine sera désormais le porte-parole du reste de la flotte auprès du Chrysaor.
-Je n'ai pas été consulté.
-C'est vrai mais je vous rappelle que nous ne sommes pas dans une situation ordinaire, et que nous avons besoin de faciliter les communications. Voilà plusieurs heures que vous nous laissez dans le silence. Nous avons reçu d'étranges transmissions et le Phetzer a signalé qu'il manquait le Stern et l'Exoden, le confirmez vous?
Saül tiqua légèrement aux propos de Sieren. Bien que l'initiative lui parut raisonnable au premier abord, son orgueil de responsable de la mission Alkonost s'en trouva froissé. Une certaine appréhension l'envahit par la suite : devait-il accepter de se laisser faire par le Sierine? Ne serait-ce pas affaiblir son autorité sur le reste de la flotte? Ne risquaient-ils pas de se réunir sous la bannière de Sieren au risque d'aggraver une situation déjà difficile? Ou était-il simplement paranoïaque?
-... Je le confirme, finit-il par dire, partagé.
-Savez vous ce qu'il s'est passé?
-Non malheureusement. Nous avons tenté plusieurs méthodes mais aucune n'a été capable de nous donner une réponse viable. Nous supposons qu'ils auraient pu faire un double saut.
-Un double saut?
-Oui, je sais, c'est impossible mais comme vous le disiez, la situation est loin d'être ordinaire.
-... Savez vous au moins combien de pertes sont à déplorer?
-Si on compare la liste et les signaux manquants... Quatre.
-Mon dieu...
Un court silence s'ensuivit en mémoire des disparus. Puis Sieren reprit la parole.
-Alors, que préconisez vous?
-Pour le moment de continuer à avancer, la priorité est de sortir de cette nébuleuse. Pendant ce temps, nous allons chercher d'autres moyens de nous repérer. Mais en résumé, tant que nous n'avons pas repéré ce qui a provoqué le dysfonctionnement du premier saut et tant que nous ne savons pas où nous sommes, les sauts sont proscrits.
-Bien, je vous recontacterai. Fin de la transmission.
L'amiral se massa alors entre les yeux. Il se faisait vieux... trop vieux sans doute. Il tourna son siège vers la baie, se laissant auréoler par les lueurs ocres de la nébuleuse.
-Alma? Recommencez les calculs, je vous prie.
-Mais il y a trop de données manqu...
-Recommencez.
-B-bien, amiral.
Saül se cala ensuite au fond de son siège avant de se laisser porter par les tapotements des claviers et les plaintes longues et sourdes des ordinateurs de bord. Il ignorait comment il allait s'en sortir... et même s'ils s'en sortiraient tout simplement.