Le Masque et le Miroir


 

Je hais...

 

C'était ce que son miroir lui reflétait. La pâle et haute silhouette se regardait, fascinée et écœurée à la fois comme on le serait devant un meurtre. Son meurtre, dont elle était à la fois la spectatrice et l'auteure.

 

Elle vivait dans le grenier d'une maison délabrée. Le toit troué n'offrait aucun refuge et l'immense vitre aux carrés épais de verre qui remplaçait la façade sud ne permettait qu'une vue déformée sur l'extérieur.

 

Elle vivait de ses masques, qu'elle fabriquait de ses mains et qu'elle vendait. Ses mains témoignaient des longues heures de labeur passées sur chacun d'entre eux. À chacun d'entre eux, elle lui avait confié une part de son âme, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien dans son cœur flétri et fatigué.

 

Ses masques... constituaient les seules notes de couleur dans cet univers fait de gris et de poussière. Des îlots de beauté dans un océan d'obscurité. Et comme toute beauté, ils étaient éphémères. Certains étaient usés à force d'être utilisé, d'autres étaient fissurés. Parfois, un sourire sur l'un d'eux était distendu par une fissure, ou un autre semblait pleurer à cause d'une tache.

 

C'étaient ses masques personnels.

 

Dans le miroir, seul le masque qu'elle portait constituait le seul rempart entre son âme et la vérité. Seul son frêle corps restait dénudé. Les haillons ne suffisaient pas à masquer l'assèchement et les épreuves subis au cours du temps. Ce masque, allié à ce corps, donnait un mélange étrange et fascinant.

 

Dans ce silence et cette attente insoutenables, elle aurait pu tourner ce dégoût vers le monde. Le Monde. Un mot qui contient autant un univers en son sein qu'une ambiguïté sans pareille. Il a ses utilités, et ses détracteurs sont nombreux. Une notion vague et floue, ce Monde. Qui peut prétendre connaître chacun des individus, des êtres ou de la matière qui le constitue, du moins assez pour le haïr ?

 

Pourtant, on use de cette excuse sans modération. Ce n'était pas son choix. Elle le pourrait, elle pourrait trouver toutes les raisons possibles et inimaginables pour détourner ses démons vers ce Monde inconnu et incompréhensible.

 

Mais elle savait. Rien ne saurait jamais retarder le miroir. Ni l'Instant. L'Instant où il faudra retirer le masque, l'instant où il faudra se dénuder et regarder. L'instant du Choix. Elle leva ses longs doigts vers l'arrière de sa tête dans un geste gracile et frémissant.

 

Les fils glissèrent sans effort. Aussitôt, ses doigts se crispèrent par instinct mais elle fut impuissante à les retenir. Le masque tomba comme un rideau tombe sur une pièce. Elle n'entendit pas le fracas qu'il fit en touchant le sol.

 

Rien ne saurait retarder le miroir.

Rien ne saurait retarder l'Instant.

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