Chapitre 7
La tunique blanche l'a vu, Faith en est sûr. S'il loupe le coche maintenant, c'est tous les autres qui payeront pour sa connerie. Dix ans déjà que la guerre dure ou à peu près. Faith n'est pas le genre à tenir compte du temps. C'est un dur, un grand, la peur, il connaît pas. Il se demande juste quand Amos et les autres le verront. Ils le traitent comme un gamin mais contrairement à eux, il est né avec la guerre ou presque. En tout cas, il se souvient plus comment c'était avant. Cette année, il va avoir quatorze ans ou à peu près. Qui se fout après tout de compter ? Mais Cassandre dit que c'est important. 'Paraît que ça aide à s'organiser. C'est pour ça qu'il l'aime pas, elle fait chier tout le temps à tenter de le "cadrer". Il préfère Amos, lui, il est clairement plus cool. Et cool à tous les étages. Il aime bien aussi sa fille, Eileen, elle est plus jeune que lui mais il aime bien son regard vif... Même si ça lui fout parfois les pétoches quand même.
Il se sent peut-être aussi proche d'elle car lui aussi a un frangin du côté des tuniques blanches, les fans d'Astrae et de colle. Mais remarque, lui, il a pas sa mère du côté des timbrés donc il s'estime plutôt heureux. Ça avait foutu un sacré choc au camp, il s'en rappelle comme si c'était hier. La mère d'Eileen ? Ouai, il l'a connu. Un petit bout de femme, discrète, gentille. Elle lui donnait des gâteaux quand il venait voir Amos. Quand les Sierines l'ont capturés avec Eileen, tout le camp a vu rouge. Lui, il était trop jeune pour comprendre ce qu'il se passait. Quand Amos et son escouade sont revenus juste avec Eileen, Faith a dû le harceler avant qu'il ne finisse par cracher que sa femme l'a lâché pour un timbré.
Il se souviendra toujours de son expression quand il lui a demandé pourquoi il ne l'a pas buté. Merde, Faith l'aurait buté, lui. Mais Amos ne lui a pas répondu, il ne lui a jamais répondu. Il arrive toujours pas à piger pourquoi il ne l'a pas fait et, à vrai dire, au fond, il s'en fout. Si jamais il la croise, il la butera pour le chef. 'Faut bien que quelqu'un fasse le boulot et ne laisse pas les Sierines ou les Impériaux prendre le dessus, c'est ce que Cassandre dit, aussi casse-couille qu'elle puisse être. Il trouve aussi que le traité de paix, c'est de la merde en barre, même s'il comprend un peu pourquoi il a été fait.
Il peut comprendre qu'à force de se péter la gueule, il risquait de rester plus personne, surtout qu'y a plus que trois vaisseaux à peine sur une flotte d'une dizaine au départ. Il peut encore comprendre que les trois camps aient divisés chaque vaisseau en trois territoires : les gars d'Amos dans les cultures de bouffe, les impériaux de service dans les quartiers de commande, les tarés chargés des moteurs. Comme ça, si un fait mine de vouloir chercher des noises, les autres ont de quoi lui couper le nécessaire. Ouai, ça il pige.
En tout cas, il aimerait pas être à la place d'Eileen. Lui au moins, il ne se souvient plus de ses parents. Elle, sa propre mère a préféré rester chez les tarés et peut-être que le type pour qui elle a lâché Amos va tenter de buter son père. Remarque, son propre frangin voudra peut-être le buter... sauf que Faith est prêt pour ça, pour le jour où il le reverra. Il se sépare jamais de son flingue et de ses couteaux. Ils sont un peu vieillots et p'têtre pas très impressionnants mais ils ont toujours fait leur boulot. C'est un vieux du nom d'Enz qui les lui a donné. 'Paraît que c'était avec lui quand Cassandre l'a trouvé au milieu des restes de ses parents.
Ouai, enfin, se rappeler de ça ne lui règle pas son problème. La tunique blanche le cherche. Le gars n'a pas dû bien le voir car il a pas encore donné l'alerte. Du vrai boulot d'amateur sur ce coup. D'hab, Faith fait attention à ce qu'on l'remarque pas. Ok, il est pas obligé de se coltiner le boulot de surveiller les tarés et les impériaux, surtout que d'autres gars d'Amos s'en occupent aussi, mais il est meilleur à ça qu'eux. Lui au moins, il connaît le Chrysaor comme sa poche. Et quand il tombe sur un gars de l'autre camp un peu trop curieux, il lui règle son compte. Et c'est ce qui va arriver à ce type qui vient de lui tourner le dos.
Faith s'approche et sort du conduit qui le masquait jusqu'ici. Le rythme de ses pieds nus se calque avec celui de sa proie. Il sait exactement comment il faut faire. Le mouvement doit être bref et précis. L'autre ne doit pas avoir le temps de crier, c'est là toute l'astuce. Faith s'élance quand soudain, un bras enserre son cou et le maintient fermement en même temps qu'une main agrippe son poignet de l'autre côté. A moitié étranglé, il est obligé de se servir de sa main libre pour éviter d'étouffer.
-Hé Abel, vise moi un peu ça.
La tunique blanche se retourne et écarquille les yeux en apercevant Faith.
-Je viens de te sauver la peau. Encore un peu et on n'aurait plus eu le plaisir d'écouter tes cantiques.
-D'où vient ce gosse ??
-Je ne sais pas mais je suis sûr qu'il va tout nous dire, hein petit ? Répond-il avec un sourire narquois.
-Allez vous faire foutre !
-À ton avis, on l'em...
Il n'a pas le temps de finir sa phrase. Faith entend le gargouillis immonde que la tunique blanche fait avant que son sang n'éclabousse le côté de son visage. Ses pensées s'arrêtent l'espace d'un instant mais son corps bouge, presque par instinct. Il se dégage aussitôt de son étreinte et fond sur le dénommé " Abel ". D'un geste précis, il s'agrippe à lui et lui tranche la gorge.
Ce n'est que quand le corps de l'homme touche le sol qu'il pense à regarder derrière lui.
-Sale gosse, tu as de la chance que je t'ai suivi, lui crache Cassandre.
L'air tout d'abord ahuri, il finit par sourire.
-J'ai jamais été aussi content de te voir la vieille.
-Toujours aussi poli à ce que je vois, j'aurai dû les laisser te refaire le portrait.
-Pour une fois que j'dis que j'suis content de t'voir, ça devrait te faire plaisir, nan ?
-Putain, Faith, combien de fois est-ce que je t'ai dit que ce n'est pas un jeu ?!
-J'ai arrêté de compter, réplique-t-il, tout sourire.
-Continue de faire le malin, tu ne t'en rends pas compte de la merde dans laquelle tu risques de nous mettre ? Imagine deux secondes, d-e-u-x secondes, que ces types t'aient torturé ou qu'ils aient pigé tout seuls comme des grands que tu viens de chez nous.
Il hausse les épaules.
-J'suis pas une balance et j'm'en serai sorti même sans que tu m'aides. Ç'aurait juste pris plus d'temps.
-Oui, bien sûr... Écoute, laisses ça plutôt aux pros, ok ? On a des gars formés pour ça, c'est nous qui n'avons pas besoin de ton aide.
-Ouai bah tes gars, ils sont pas foutus de chercher plus loin que leur cul pour savoir quels sont les bons passages. Les bons raccourcis. J'suis meilleur qu'eux.
Cassandre soupire. Il sait qu'il a raison et qu'elle a rien à répliquer à ça.
-On en reparlera, ce n'est pas le moment.
Sa phrase fétiche pour clore une discussion, p'têtre pour croire que c'est elle qui a le dernier mot.
-Et c'est maintenant que la vioque se dit que c'est "pas le moment" après la leçon de morale sur la prudence. C'est pas moi qui ait envie de traîner dans le coin.
-Tu veux continuer à me faire plaisir, Faith ? Ferme la.
-Ouaip, bon, on fait quoi ? On dégage ?
-On ne va pas les laisser là. Aide moi à traîner celui-là, d'accord ?
-Ok.
Pour une fois, Faith s'exécute. Lui et Cassandre prennent le premier mec et le transportent dans le conduit d'où il venait. Après quelques mètres, elle le pose à un croisement.
-Inutile d'aller très loin. Ça m'étonnerait qu'ils fouillent jusqu'ici et même s'ils le font, ils ne retrouveront pas de quoi les identifier.
Joignant le geste à la parole, elle sort une trousse de sa poche et la déroule pour dévoiler des flacons métalliques. Elle en prend un et verse son contenu sur le corps. Le liquide se met alors à ronger les chairs et les vêtements de celui-ci en émettant un bruit indescriptible.
-Allons récupérer le second, dit elle en se tournant vers lui.
Une demie-heure plus tard, et après avoir effacé leurs dernières traces, ils reprennent le chemin du retour, tout d'abord en silence avant que Cassandre ne reprenne la parole.
-Tu veux vraiment continuer ce que tu fais ?
-Heu... ouai ?
-... Dans ce cas, je propose de t'entraîner.
-Hé ?
-Inutile de me regarder avec cet air d'abruti. Tu veux que j'arrête de t'engueuler ? C'est ma condition.
Elle est sérieuse ? Ouai, elle a l'air sérieuse. Faith la regarde en biais, sans savoir quoi lui répondre tout d'abord. Puis...
-Tu me donneras l'un de ces trucs ?
-De quoi ?
-Tes trucs à faire disparaître les corps.
-Ah ça... Si tu es sage, peut-être.
-... T'es vraiment qu'une vioque.
-Sale gosse.