Les paroles retentirent en même temps qu'apparaissait le visage de l'Aodhe Cahal sur l'écran de l'appareil. Ce dernier offrit un sourire bienveillant à son confrère mais cela ne fit que grandir l'incompréhension et la peur qui étreignaient Hayden au point qu'elles se muèrent bientôt en rage.
-Qu'est ce que ça signifie ?
-Qu'est ce que ça fait de ressentir à nouveau depuis tout ce temps ?
La question le prit au dépourvu mais Cahal ne se démarqua pas de son sourire.
-C'est autre chose, n'est ce pas ?
-Je ne comprends pas de quoi est ce tu parles... Cahal, explique toi.
-Je pensais pourtant avoir été suffisamment clair : qu'est ce que ça fait... de ressentir à nouveau depuis tout ce temps ? Réitéra-t-il en pesant davantage ses mots.
Hayden comprit que Cahal ne lui répondrait pas tant que lui-même n'aurait pas répondu à sa question. En prenant le temps d'y réfléchir, il s'aperçut de l'étrangeté de son propre comportement. Lui, le Veilleur, le gardien de Cinaed, n'avait jamais eu aucune raison de ressentir quoique ce soit. Il avait toujours suivi le dogme sans réfléchir, convaincu que cela protégeait l'intérêt commun. Un dogme qu'il avait sans doute lui-même mis en place. Toute son existence se résumait à une routine soigneusement écrite et exécutée avec soin.
Pourtant, il connaissait bien le doute. C'était une vieille connaissance qui, même contenue, savait comment l'étreindre dans les moments les plus solitaires. Il pouvait la repousser, il pouvait ne pas y penser mais elle savait toujours comment remplir le vide que laissaient l'oubli et l'ennui en rongeant ses convictions.
-C'est une surprise désagréable... et dangereuse, répondras tu à mes questions maintenant ?
À sa réponse, Cahal soupira discrètement mais il ne semblait pas surpris.
-Oui. Je te présente Ciar, elle est l'une des rares condamnés à avoir survécu à l'ombre.
-C'est impossible, rien ne peut y survivre.
-C'est ce qui semble pourtant se produire. Pour des raisons que je ne peux pas expliquer, un certain nombre de condamnés a pu résister à ses effets et à survivre au sein du Cœur. Je l'ai fait emmener jusqu'à moi quand je m'en suis aperçu. Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'elle parviendrait à me faire comprendre une nécessité.
-Laquelle ?
-Que le Cycle doit se remettre en marche.
La suggestion heurta avec violence Hayden.
-Tu as perdu la raison, l'arrêt du Cycle est vital pour la survie de la Cité. Sans ça, sans le Voile, nous risquons de retourner à notre précédent niveau d'existence. Nous connaîtrions à nouveau les fléaux dont il nous préserve.
-Je n'espérais pas que tu comprendrais, du moins pas maintenant. C'est pourquoi nous aimerions te montrer quelque chose.
Montrer quelque chose... En l'emmenant en-dessous. Si les dires de Cahal étaient vrais, Hayden serait à la merci des condamnés.