Elle et moi
Je l’aimais… Je l’ai aimé autant que je le pouvais tant qu’elle était encore là. J’aurai tout fait pour elle, je n’ai rien pu faire quand elle est partie, il y a de cela deux mois, ou peut-être un ? (rire amer) Je ne sais plus. Tout ce que j’ai pu faire, c’est lui tenir la main, à l’hôpital et la regarder mourir. On n’envisage pas des choses comme ça, on ne les envisage jamais avant de les vivre. Pourtant, d’elle, je me souviens encore de tout, de ses joies, de ses peines, de ses rires. Je me rappelle aussi de ses yeux éteints, de ce regard qu’elle avait posé sur moi. Pourquoi m’avais tu regardé ainsi ? Qu’avais tu espérer de ma part à ce moment là ? Elle était seule et je n’ai rien su dire pour la rassurer.
Je ne suis même pas allé à l’enterrement. J’ai préféré cuver mon alcool quelque part et ensuite, je n’ai plus compté les jours. J'ignore si c’est ce qu’on appelle la descente aux enfers. Si encore j’avais pu hurler, exprimer quelque chose. Je ne pouvais que rester prostré dans un coin, à ressasser sans cesse et sans cesse les mêmes souvenirs, sans répondre aux appels et inquiétudes de mon entourage.
Un jour, alors que j’étais au fond du gouffre, je décidai de sortir enfin, même si ce n'était que pour errer de bar en bar. Un schéma sans fin, sous l'égide de l’autodestruction.
Et un soir, je la vis. Je ne pouvais pas y croire. La folie devait me guetter. Pourtant, c’était bien elle, le même visage, le même corps, la même voix. Elle ne m’a pas vu tout d’abord. Elle était accompagnée d’un homme, habillé de noir. Elle, de rouge. Si différente de celle que je connaissais. Elle illuminait la salle de sa simple présence. Elle semblait être devenue si confiante, si sensuelle. Et pourtant, je l’aurai reconnu même sans ces artifices. Et quand nos regards se croisèrent, elle me reconnut. Je vis chacun de ses traits se figer dans une expression de surprise, de peur… peut-être de peine ? Je n’entendis pas ce que l’homme lui demandait. Il n’y avait plus que nous deux dans cette salle. Je ne comprenais pas, elle était morte. Je l’avais vu de mes propres yeux. Comment cela pouvait être possible ?
Je n’ai pas pu bouger, même lorsqu’elle s’est enfui, son compagnon sur ses pas. Je devais la retrouver. Il me fallut plusieurs jours avant de réussir. Une fois retrouvée, je l’ai suivi. J’aurai mieux fait de m’abstenir. Chaque soir, je l’ai suivi. Chaque soir. Pour découvrir ce qu’elle était devenue, pour lacérer chacun des souvenirs de ce qui me restait d’elle.
Je devais prendre une décision, faire quelque chose, au moins lui parler. Mais j’avais peur, j’étais terrifié par ce que je voyais, de ce que elle et les siens faisaient. Et finalement, oui, j’ai pris une décision. Je l’ai abordé dans une ruelle, une nuit sans lune. Elle semblait m’attendre, elle savait que je la suivais. Elle m’a pris tendrement la main, comme elle le faisait auparavant. Elle m’a embrassé, et ses lèvres avaient le goût mortuaire de l’encens. Je lui ai demandé bêtement des explications. N’importe quoi qui aurait pu expliquer tout ça, des raisons, quelque chose de rationnel. Mais on était loin de tout ça, c’est ce qu’elle me disait.
J’aurai pu me laisser aller, complètement. Arrêter de réfléchir, me laisser entraîner. Je n’ai pas pu parce que je savais, je savais ce qui m’attendait. J’avais vu beaucoup plus loin qu’elle. Elle n’a rien vu venir, elle n’a pu que glisser jusqu’au sol. J’ai senti ses mains s’agripper inutilement à mes manches. Et pour cette fois, j’ai su quoi lui dire, juste avant que son regard ne s’éteigne une seconde fois.
Et maintenant, je suis là, dans cet hôtel minable de banlieue. Je ne sais pas s’ils vont venir me chercher, je n’en ai plus rien à faire maintenant. En fait, plus rien n’a d’importance. Pas même l’humanité. Pour moi, seule elle comptait. Seule elle et ses rires enfantins. C’est étrange que je ne me souvienne que des moments heureux avec elle. Alors qu’elle était, au final, plus larmes que sourires. C’était la dernière chose que je pouvais faire, pour elle. J’aimerai pouvoir dire que je vais la rejoindre, au-delà du néant… mais qu’en sais je au fond ?