Chapitre 8


-Il ne marche plus, il court.

 

Cassandre regardait, amusée, l'enfant courir jusqu'à la sortie de la pièce. Arrivé au seuil de la porte, il retomba à terre, sur le postérieur. Eileen suivit le regard de son interlocutrice et eut un sourire attendri à la scène avant d'aller au secours du vaillant explorateur.

 

Elle le prit dans ses bras et elle constata de nouveau à quel point il ressemblait à son père.

 

-Je vais aller demander à Faith de veiller sur lui.

-Tu es sûre que c'est une bonne idée ? Lui demanda Cassandre avec un sourire.

 

Eileen répondit tout d'abord par un léger soupir.

 

-Son vocabulaire est peut-être... spécial mais tu sais bien qu'il peut être sérieux quand il le veut et il adore Telos. C'est ton idiot de mari après tout, tu le connais mieux que moi.

-Ouai, ajouta-t-elle avec un léger rire.

 

La jeune femme disparut ensuite avant de revenir et de s'affaler sur une chaise à proximité de Cassandre. L'air passablement épuisée, elle posa un coude sur la table et elle se mit à se masser le front.

 

-Ça va ? ... Tu encaisses le coup ?

-Je ne sais pas, Cass'... Je ne sais pas. Tu veux que j'encaisse ça comment ?

 

Cassandre tendit la main vers elle, puis elle lui fit un geste pour l'inviter à donner la sienne. Eileen posa sa main libre sur la table, ce qui permit à l'instructrice militaire de la prendre pour tenter de lui apporter du réconfort. Elle vit le pouce de cette dernière caresser le côté de sa main et elle pouvait deviner sans mal l'air de sympathie que Cassandre lui envoyait.

 

-Tu n'as pas à encaisser ça toute seule. Le plus dur est passé avec... Tu sais...

 

Elle savait. L'enterrement d'Amos, son père. Il avait survécu aux trois grandes altercations de ces trente dernières années. Il avait mené des batailles perdues d'avance, il avait su se montrer à la hauteur des espoirs placés en lui en dépit des difficultés, de la privatisation et du confinement. Même la trahison de sa mère n'avait pas pu le briser… en apparence.

 

Eileen n'était pas dupe.

 

Évidemment qu'il l’était, brisé. Il était évident qu'il n'était pas sorti de tout ça intact, physiquement et mentalement. À chaque blessure, il revenait à la maison un peu plus froid, un peu plus renfermé. Hanté par les cauchemars. Il ne le montrait à personne mais elle avait été là. Elle l'avait vu, entendu en dépit des efforts de ce dernier pour cacher ses plaies.

 

Elle l'avait aussi payé dans une certaine mesure.

 

Elle ne lui en voulait pas. Comment pouvait-elle lui en vouloir ? Elle comprenait, elle comprenait même son départ. Des fois, une balle suffit. Nul n'était éternel, c'était une leçon qu'elle avait appris à force de voir les visages autour d'elle s'amenuiser.

 

Ce qui la faisait davantage souffrir, c'était le fait de sentir qu'elle ne serait jamais à la hauteur de l'héritage qu'il lui avait laissé.

 

-Je sais... Cass'... Je sais, fit-elle avec une voix brisée. Juste... J'aurai aimé qu'il en parle... Qu'il...

 

Elle sentait les larmes lui monter à nouveau aux yeux. Ça et le départ de son mari, c'était trop, beaucoup trop pour elle. Il n'avait même pas attendu après l'enterrement pour la quitter. Pour déverser le venin qu'il conservait à chacune de leurs disputes.

 

-Là, là, je suis là... Je passerai tous les jours avec ce crétin de Faith. Il finira bien par se laisser convaincre de te laisser lui apprendre à écrire correctement.

 

En dépit de son chagrin, la jeune femme ne put s'empêcher d'esquisser un faible sourire en se rappelant des fausses querelles qui l'unissaient à ce couple si étrange et si décalé.

 

-La vie continue. Doit continuer. Tu as un fils, Eileen. Il vient peut-être de cet enfoiré de Jainer mais il reste ton fils avant tout. Il va avoir besoin de toi, plus que jamais. On aura besoin de toi, nous aussi. Je veux bien reprendre le commandement, pendant un temps mais il faudra bien que je passe la main. Si tu ne veux pas la reprendre, je comprendrais, vraiment, mais tu n'es pas obligée de donner une réponse tout de suite.

 

Eileen se força à hocher la tête. Les larmes coulaient, sans discontinuer. Cassandre soupira.

 

-Viens là.

 

Comme une enfant, Eileen tituba jusqu'à Cassandre, jusqu'à son giron. Elle sentit les bras imposants de celle-ci se refermer sur elle, comme le cocon maternel qu'elle n'avait jamais connu. Les larmes continuaient de couler mais elle ressentit enfin cette sorte d'apaisement qu'elle essayait de trouver depuis des jours.

 

Elle ne serait peut-être pas aussi forte, ni aussi brave que son père mais elle savait au moins qu'elle ne serait pas totalement seule face aux épreuves qui l'attendraient. Elle ne se sentit pas glisser vers le sommeil, épuisée après de longues nuits d'insomnie, tout comme elle ne sentit pas qu'on la portait jusqu'à son lit, près de celui de son enfant.

 

Telos.

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